Table of Contents
Mohammed Khaïr-Eddine : Une Voix Rebelle dans la Littérature Marocaine
Introduction
Mohammed Khaïr-Eddine, né en 1941 à Tafraout, au sud du Maroc, est l’une des figures majeures de la littérature marocaine d’expression française. Sa vie et son œuvre, marquées par un profond esprit de rébellion et une recherche constante d’une nouvelle voie, reflètent les bouleversements et les contradictions du Maroc post-colonial.
Une Enfance au Sud et le Séisme d’Agadir
Issu de la tribu berbère Aït Ammeln, Khaïr-Eddine grandit à Tafraout, petite ville du Souss-Massa-Drâa. Cette région, aride et marquée par une forte tradition orale, imprégnera durablement son imaginaire et sa vision du monde. Après des études secondaires à Casablanca, il travaille un temps dans la fonction publique avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
En 1960, le terrible séisme d’Agadir marque un tournant dans sa vie. S’installant dans la ville en reconstruction en 1961, il est chargé par la Sécurité Sociale d’enquêter auprès de la population. L’expérience du désastre et de la reconstruction le hantera profondément. Il y puisera la matière de son premier roman, Agadir, publié en 1967, qui le propulsera sur la scène littéraire francophone et lui vaudra le prix Enfants Terribles.
L’Exil, la Révolte et l’Expérimentation Littéraire
En 1965, Khaïr-Eddine choisit l’exil volontaire en France. Il y exerce divers métiers, notamment ouvrier dans la banlieue parisienne, tout en poursuivant son travail d’écriture. Sa plume se fait alors plus acerbe et contestataire. Il publie Corps négatif (1968), Histoire d’un Bon Dieu (1968), Soleil arachnide (1969) et Moi l’aigre (1970), des œuvres où transparaissent sa rage contre l’injustice sociale et son refus de tout compromis.
Son style, d’une grande originalité, se caractérise par :
- Une langue puissante et inventive, mêlant français littéraire, expressions dialectales marocaines et néologismes.
- Un refus des conventions narratives, avec des structures éclatées, des changements brusques de point de vue et des ruptures de chronologie.
- Une critique virulente du pouvoir, qu’il soit politique, religieux ou social.
Cette période d’exil est aussi marquée par une intense activité poétique. Khaïr-Eddine co-fonde en 1964, avec Mostafa Nissaboury, le mouvement Poésie toute, qui prône une poésie libre et engagée.
Le Retour au Maroc et la Quête d’une Nouvelle Voix
En 1979, après quatorze années d’exil, Khaïr-Eddine décide de rentrer au Maroc. Il continue d’écrire, publiant notamment Légende et vie d’Agoun’chich (1984) et Il était une fois un vieux couple heureux (1993). Son style évolue, se faisant plus introspectif et apaisé, sans pour autant renier sa vision critique du monde.
Il s’engage également dans la vie culturelle marocaine. Il collabore à la revue Souffles, animée par le poète Abdelatif Laabi, et travaille comme journaliste pour le quotidien Le Matin du Sahara. En 1983, il fonde avec l’artiste Ahmed Senoussi le journal Al-Asas, qui sera malheureusement censuré en raison de sa ligne éditoriale audacieuse.
Une Œuvre Inachevée et un Héritage Durable
Mohammed Khaïr-Eddine meurt à Rabat le 18 novembre 1995, jour de la fête de l’Indépendance du Maroc. Il laisse derrière lui une œuvre riche et complexe, qui continue d’inspirer les générations d’écrivains marocains. Son influence se fait sentir à plusieurs niveaux :
- L’affirmation d’une identité marocaine plurielle, à travers l’utilisation du dialecte et des références culturelles berbères.
- La dénonciation des injustices sociales et des dérives du pouvoir.
- L’exploration des potentialités de la langue française, poussée à ses limites pour exprimer la réalité marocaine.
Mohammed Khaïr-Eddine reste une figure incontournable de la littérature marocaine. Son œuvre, puissante et novatrice, continue de questionner le Maroc d’hier et d’aujourd’hui.
Bibliographie Sélective
- Agadir (1967)
- Corps négatif (1968)
- Histoire d’un Bon Dieu (1968)
- Soleil arachnide (1969)
- Moi l’aigre (1970)
- Le Déterreur (1973)
- Ce Maroc ! (1975)
- Une odeur de mantèque (1976)
- Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants (1978)
- Résurrection des fleurs sauvages (1981)
- Légende et vie d’Agoun’chich (1984)
- Il était une fois un vieux couple heureux (1993)
- Faune détériorée (1997)
- Le Temps des refus, entretiens 1966-1995
- On ne met pas en cage un oiseau pareil (Dernier journal, août 1995) (2001)
Conclusion
La complexité de son œuvre et la singularité de son style ont pu rendre l’accès à Khaïr-Eddine difficile pour certains lecteurs. Cependant, son importance dans l’histoire de la littérature marocaine est indéniable. Il reste un auteur à redécouvrir, une voix singulière et puissante qui continue de nous interpeller sur les enjeux du Maroc contemporain.